L'ATLAS SOCIOLOGIQUE MONDIAL  Rechercher


Accueil »  Revue »  Technologies »  Les technologies de l’information et de la communication au service de la “glocalisation”

Les technologies de l’information et de la communication au service de la “glocalisation”

Atlasocio.com | Publié le 03/09/2015 • Mis à jour le 03/12/2017
Par Guilhèm Moreau

 

Avec le développement mondial des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), de nouveaux mots apparaissent. C'est le cas notamment du terme de « glocalisation ».

Exemple concret de glocalisation: Le menu McDonald's à Hong Kong comprend de la soupe à l'écrevisse et du brocoli.
1/2
 +  Exemple concret de glocalisation : Le menu McDonald's à Hong Kong comprend de la soupe à l'écrevisse et du brocoli. © Richard Allaway
Un résident à Rangoun passe un appel sur son smartphone, le 10 mars 2015.
2/2
 +  Un résident à Rangoun passe un appel sur son smartphone, le 10 mars 2015. Avec l'ouverture récente de son économie au reste du monde, la Birmanie a connu un afflux de produits de télécommunications modernes et abordables. © Asian Development Bank

De l'agriculture japonaise, en passant par le marketing, puis la sociologie anglo-saxonne

À l'origine, le sens de glocalisation provient du mot japonais Dochakuka [1], un concept qui se réfère aux techniques agricoles pour cultiver la terre en s'adaptant aux conditions locales. Ce terme est ensuite employé par les hommes d'affaires japonais dans leurs stratégies marketing durant les années 1980, avant d'être repris par le milieu du business anglo-saxon et retranscrit sous la forme de « glocalization », soit la contraction de globalization et de localization.

En effet, la dématérialisation de l'économie accentue une organisation marchande plus que jamais tributaire de réseaux de communication devenus désormais incontournables, telles que les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), et plus généralement d'Internet. Cette logique économique, née du tiraillement entre le « global » et le « local », part d'un questionnement très pragmatique : comment adapter à l'échelle mondiale la vente de produits, soumis à un niveau plus ou moins élevé de standardisation industrielle tout en étant destinés aux milliers de particularismes socioculturels locaux et leurs millions de consommateurs potentiels ? La glocalisation équivaut donc à faire du micromarketing selon une conception globale de distribution puisqu'elle vise l'intégration des marchés locaux au marché mondial.

▶ LIRE AUSSI : Les navigateurs internet les plus utilisés à travers le monde

Cependant, le principe de glocalisation concerne également des réalités sociétales contemporaines pas forcément liées au secteur économique. En sciences humaines et sociales, ce néologisme est introduit par le sociologue Roland Robertson au sein d'un chapitre de l'ouvrage Global Modernities, paru en 1995 [2]. Pour Robertson, il s’agit d’un processus permettant de prendre en compte le phénomène de globalisation tout en intégrant à l'analyse la réalité socioculturelle locale, soit une sorte de « globalisation qui se donne des limites, qui doit s’adapter aux réalités locales, plutôt que de les ignorer ou les écraser » [3]. Ainsi, la glocalisation peut aussi bien s'appliquer à l'aspect matériel (produits, biens de consommation...) qu'à l'aspect immatériel (pensées philosophiques, idéologies politiques ou religieuses...).

Définition du terme « glocalisation » :
« La Glocalisation désigne, dans un contexte globalisé, l'adaptation spécifique d'un produit, d'un service ou d'une idéologie à chacun des marchés dits “locaux” où il/elle est vendu(e) et/ou destiné(e) ; soit à autant de particularismes socioculturels – majoritaires ou non au sein d'un territoire donné – auxquels il/elle est susceptible de s'adresser. »
[Définition Atlasocio.com].


Pourquoi employer le terme de « glocalisation » ?

Sémantiquement, le terme de « glocalisation » est apparu car la globalisation pose plusieurs problèmes :

▶ L’un d’entre eux concerne la place des cultures minoritaires. Selon Naila Amrous, les TIC peuvent servir de nouveaux moyens d’expression, car « ce n'est pas le système technique lui-même qui fait du réseau un lieu de vie, mais ceux qui créent et produisent des contenus » [4]. S'organise alors sur Internet une véritable résistance socioculturelle. Ainsi, au Brésil, le chef indien Almir Surui utilise les technologies les plus modernes pour lutter contre la déforestation de l'Amazonie : partenariat avec Google Earth et commercialisation des crédits carbone [5]. Pour le cas de la France, la multiplication ces dernières années des sites en langues minoritaires (alsacien, basque, breton, catalan, corse, occitan, etc.), paradoxalement stigmatisées pour leur prétendue inutilité en termes de débouchés commerciaux « modernes », ne fait que confirmer cette tendance.

▶ Un autre, comme évoqué précédemment, se rapporte à l’économie. Là aussi, les TIC, selon l’Unesco, peuvent être déployées afin de développer les capacités d’adaptation des populations et notamment par le biais de la formation [6].

▶ Le dernier, certainement le plus complexe, a trait à la diversité des idées. Certains chercheurs constatent que « paradoxalement, la globalisation de l’information accentue la dynamique de glocalisation », permettant « à des idées qui n’auraient autrement jamais été reprises par les médias institutionnalisés de s’immiscer, plus ou moins durablement, dans l’espace public » [7]. C'est le cas des fameuses théories du complot, très présentes sur Internet et encore bien mal définies par les sciences humaines [8].

 Carte du monde : accès à Internet par État et territoire (en % de la population). © Atlasocio.com

Pour Anna Dimitrova, diplômée de l'Institut européen des hautes études internationales (IEHEI) de l'université Nice Sophia Antipolis et docteur en sociologie, « il vaut mieux considérer la dialectique entre le local et le global comme un jeu perpétuel entre deux composants interconnectés et interdépendants. Une telle dialectisation, faisant contrepoids au modèle néolibéral de la mondialisation, prouve qu’il n’existe pas de fossé entre le local et le global et qu’il faut toujours les percevoir comme intrinsèquement liés » [9]. Une analyse confirmée par les résultats d'une étude, menée conjointement par l’Université de Pennsylvanie et le centre de recherche Pew Internet Project, qui démontre que les réseaux sociaux participent activement au processus de glocalisation :

« Les courriers électroniques, les réseaux sociaux et les messageries instantanées promeuvent la "glocalisation" - autrement dit, ils sont autant utilisés pour maintenir des relations de proximité [locales], que des relations à distance [globales] » [10].

Avatar

Guilhèm Moreau Directeur de publication

Guilhèm Moreau est diplômé en sociologie de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, et diplômé en sciences de l'Éducation de l'université Sorbonne Paris Cité. Il a été éducateur spécialisé et coordinateur socioculturel avant de fonder le site Atlasocio.com


Notes et références

  1. [1] Habibul Haque Khondker, “Glocalization as Globalization: Evolution of a Sociological Concept”, Bangladesh e-Journal of Sociology, Vol. 1, N°2, July 2004.
  2. [2] “Chapter 2: Glocalization: Time-Space and Homogeneity-Heterogeneity” by Roland Robertson in Global Modernities, ed. Mike Featherstone, Scott Lash and Roland Robertson, SAGE Publication, London, 1995.
  3. [3] Wiki de l'université Paris Descartes, terme « Glocalisation ». URL, consulté le 20/04/2013.
  4. [4] Naila Amrous, « Internet, chance ou menace pour la diversité culturelle et linguistique ? », Revue électronique des sciences humaines et sociales, 2006.
  5. [5] Almir Narayamoga Surui, Sauver la planète : Le message d'un chef indien d'Amazonie, Éditions Albin Michel, 2015.
  6. [6] UNESCO, « La conférence internationale sur les TIC dans l’éducation donne la parole au grand public », le 19/05/2010. URL, consulté le 01/09/2015.
  7. [7] M. Filion et C. Beauregard [dir.], « Actes du colloque : Les communications à l’ère du village global », Université du Québec en Outaouais, Série Conférence, n°14, 2006, p.31 et p.37.
  8. [8] En effet, le terme “conspirationnisme” est indifféremment employé pour définir des “complots réels” qui s'appuient sur des enquêtes journalistiques, policières ou historiques, et des “complots fictifs” qui renvoient à des représentations croyantes, des rumeurs, des récits etc. C'est également une technique argumentative qui vise à discréditer un opposant politique ou non (mouvements écologistes, altermondialistes, voire simples citoyens “lanceurs d'alerte”). Cf. à ce propos : M. Chueca, C. Pigden, M. Albert et al., « Les Théories du complot », Agone, n°47, 2012.
  9. [9] Anna Dimitrova, « Le “jeu” entre le local et le global : dualité et dialectique de la globalisation », Socio-anthropologie, 16 | 2005, mis en ligne le 24 novembre 2006, URL, consulté le 02 décembre 2017.
  10. [10] Traduction de « Email, social networking services, and instant messaging promote “glocalization” – that is, they are used as frequently to maintain nearby core social ties as they are used to maintain ties at a distance », in Keith N. Hampton et al., Social Isolation and New Technology, University of Pennsylvania & Pew Internet Project, 2009, p.8