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Harcèlement scolaire : 130 millions de victimes à travers le monde

par Atlasocio.com | Publié le 30/04/2018

 

Le milieu scolaire incarne généralement un refuge pour de nombreux enfants, tant en termes d’émancipation intellectuelle que d’épanouissement personnel. Pourtant, près de 130 millions d’élèves âgés de 13 à 15 ans (un peu plus d’un sur trois) dans le monde sont victimes de harcèlement scolaire.

Le profil type de l’agresseur ne provient d’aucune catégorie socio-professionnelle en particulier. Ainsi, tous les établissements sont touchés par ce phénomène. © Mikhail Nilov.

Qu’est-ce que le « harcèlement scolaire » ?

Le concept de « harcèlement scolaire » a été théorisé par le psychologue norvégien Dan Olweus en 1969 [1] avant d’être développé au cours des années 1990 par le britannique Peter K. Smith, professeur émérite de psychologie au Goldsmiths College de l’Université de Londres. Tous deux ont contribué à faire connaître ce phénomène, notamment par le biais d’enquêtes permettant d’en mesurer l’ampleur sociétale et de proposer des programmes de prévention adaptés.

Car le harcèlement en milieu scolaire, à la différence des bagarres entre pairs, relève d’un rapport de domination asymétrique. Autrement dit, il y a un ou des agresseurs contre un unique agressé qui est dans l’incapacité de se défendre, et ce, pour diverses raisons : infériorité numérique (seul contre un groupe), infériorité physique (plus petit et/ou moins fort), infériorité en termes d’estime de soi (apparence physique connotée péjorativement telle que l’obésité), infériorité en termes de prestige social (introverti contre extraverti bénéficiant auprès de ses pairs d’un certain charisme), etc. Enfin, comme tout type de harcèlement, les agressions sont répétées et s’inscrivent dans la durée.

Les situations qui relèvent du « harcèlement scolaire » :
 ▶ harcèlement moral (moqueries, surnoms méchants, menaces...) ;
 ▶ harcèlement physique (violences physiques diverses) ;
 ▶ harcèlement d’appropriation (racket, soit le vol d'objets ou d'argent) ;
 ▶ harcèlement sexuel (baisers et/ou attouchements sous la contrainte et de manière répétée).

 Carte du monde du harcèlement scolaire. © Atlasocio.com

▶ CONSULTER : Cartes relatives au harcèlement scolaire


Qui sont les agresseurs ? Combien de victimes et pour quelles raisons ?

Selon un récent rapport de l’UNICEF, environ 3 jeunes adolescents sur 10 (17 millions) dans 39 États d’Europe et d’Amérique du Nord reconnaissent avoir harcelé d’autres élèves à l’école [2]. Ainsi, au sein des États de l’OCDE, le harcèlement scolaire concerne environ 15 à 20% des enfants en âge d’être scolarisés, parmi lesquels environ 15% de victimes, 4-6% d’agresseurs et, plus surprenant, 3 à 4% de « victimes-harceleurs » [3].

Le profil type de l’agresseur ne provient d’aucune catégorie socio-professionnelle en particulier. Ainsi, tous les établissements sont touchés par ce phénomène : situés en milieu urbain ou rural, fréquentés par des élèves issus de milieux aisés ou populaires. De plus, le cas des groupes de harceleurs ne se cantonne pas aux seuls quartiers dits « sensibles » et la domination résultant d’un « effet de groupe » touche également les élèves de l’élite sociale et scolaire.

 Carte d'Europe du pourcentage d'adolescents ayant déclaré avoir intimidé d'autres élèves à l'école. © Atlasocio.com

Le comportement des autres élèves participe tout autant au sentiment d’isolement de l’enfant harcelé. Le « spectateur passif » ne participe pas aux violences mais ne s’y oppose pas de peur d’être à son tour victime en attirant l’attention du/des agresseur(s). Le « spectateur actif », soucieux d’affirmer son statut et son appartenance au « groupe dominant », encourage les situations de harcèlement voire y participe en colportant des rumeurs et en s’associant aux moqueries. Le harcèlement scolaire est si répandu que les élèves semblent le considérer comme une « normalité » : un tiers des jeunes enquêtés pense qu'être intimidé ou brutalisé est normal et qu’il n’est pas nécessaire d’en parler à une tierce personne [4].

Cette violence scolaire peut provenir de préjugés sur le physique, le handicap, le statut social précaire, les orientations sexuelles ou les origines ethniques de la victime, comme la manière de s’habiller ou de parler, etc. Les conséquences sont multiples : absentéisme, baisse des résultats scolaires, taux d'abandon plus élevés. Plus grave encore, certaines victimes en viennent au suicide.

 Principales raisons du harcèlement scolaire. © Atlasocio.com

Le harceleur agissant de façon cachée, il est délicat pour le corps enseignant de distinguer le véritable harcèlement des simples chamailleries et/ou taquineries entre élèves. D’autant plus que certaines formes de « micro-violences » au sein d’un établissement cachent en réalité de graves violences psychologiques en dehors du cadre institutionnel, notamment via Internet.


Un phénomène amplifié par le « cyber-harcèlement »

En France, il faut attendre les années 2000 pour que les pouvoirs publics s’attachent à prendre en considération le phénomène de harcèlement à l’école. Éric Debarbieux, directeur de l'Observatoire Européen de la Violence Scolaire et membre de l'American Society of Criminology, indique au sein d’un rapport rendu au ministre de l’Éducation nationale [5] que 5% des élèves français subissent un harcèlement au moins une fois par semaine. Debarbieux pointe également les dangers relatifs au « cyber-harcèlement », une nouvelle forme de violences psychologiques particulièrement destructrice pour de nombreux adolescents :

« L’intimidation et la brutalité, incluant l’intimidation sur internet, demeure un risque largement méconnu et mal compris pour le bien-être des enfants et des jeunes. Pour mettre fin à cette forme de violence, nous devons mieux informer les parents, les enseignants et les jeunes eux-mêmes sur l’impact néfaste du harcèlement notamment en leur permettant d’identifier les risques, de rapporter tout incident et de fournir une prise en charge et un accompagnement pour les victimes. » [6]
Theresa Kilbane, conseillère principale à la Protection de l’Enfant à l’UNICEF.

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À travers internet et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (réseaux sociaux, smart phones, forums, chats, jeux interactifs, etc.), le chantage de diffusion de selfies dénudés, les insultes, ou l’emprise psychologique, prennent la forme d’une propagation répétitive et massive à l’égard d’un élève et de son entourage scolaire proche, d’où un isolement social inévitable sur le long terme. Continuellement sous pression psychologique, les victimes parviennent difficilement à exprimer leur souffrance : « Au collège, ils n'ont rien fait, et mes parents n'ont pas compris ce que je voulais leur dire, en même temps je leur expliquais seulement que la fille m'avait encore embêtée, sans leur donner vraiment de détails » [7].


Quelles préconisations entreprendre pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Toute la problématique du harcèlement scolaire repose sur l’isolement social : la victime se replie sur elle-même, persuadée que « c’est de sa faute ». En outre, certains facteurs comme la pression scolaire et l’impossibilité des adultes à réguler les relations conflictuelles au sein d’un même groupe d’enfants exacerbent les situations de harcèlement. Selon Nicole Catheline, pédopsychiatre et spécialiste des troubles de la scolarité chez l'enfant et l'adolescent, la notion de « groupe » est encore négligée alors qu’elle intervient pourtant de manière déterminante lors des interactions dans le processus d'apprentissage. Aussi, un « cadre éducatif ferme mais juste » et des adultes offrant « des modèles de coopération », notamment entre enseignants et parents, sont autant de pistes à privilégier afin d’aider les élèves « à verbaliser leurs émotions et à développer de l’empathie pour autrui » [8].

Il conviendrait toutefois d'intégrer le critère de l’âge à cette approche de la régulation émotionnelle car « le harcèlement touche à la fois des élèves en école primaire, au collège et au lycée. Or, la construction de la personnalité et de l'estime de soi à ces différentes périodes n'en n'est pas au même stade » [9], remarque Audrey Arnoult, docteure en Sciences de l'Information et de la Communication et chercheure associée au laboratoire ELICO.

Le harcèlement scolaire résulte donc de plusieurs conjonctures dont l’une est structurelle en raison d'un manque de préparation des pouvoirs publics (campagnes de prévention, prise en charge adaptée des situations conflictuelles), tandis que l’autre provient d’un rapport complexe des victimes quant à leurs émotions :

« Prendre en considération le harcèlement et les difficultés qu’il induit met en lumière les impensés de notre système scolaire, fondé sur l’écrit, quand le débat oral, l’expression nuancée d’un point de vue et le sens de l’écoute sont au cœur de la vie en démocratie. » [10]


Notes et références

  1. [1] Dan Olweus, Prediction of aggression: On the basis of a projective test, Scandinavian Test Corporation, 1969.
  2. [2] A Familiar Face: Violence in the lives of children and adolescents, United Nations Children’s Fund, UNICEF, New York, 2017.
  3. [3] En effet, certains harceleurs sont parfois simultanément victimes, reproduisant le schéma d’agressions qu’ils subissent eux-mêmes. Lire à ce propos : Olweus D., Bullying at School, Oxford, Blackwell, 2002 ; Kowalski R.M., Limber S.P., “Psychological, physical and academic correlates of cyberbullying and traditional bullying”, Journal of Adolescent Health, n°53 (suppl.), 2013, p. 13-20.
  4. [4] « Deux-tiers des jeunes de plus de 18 pays avouent avoir été victimes d’intimidation et de brutalité », UNICEF, le 12/08/2016, consulté le 17/01/2018.
  5. [5] Éric Debardieux, « Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’école », rapport rendu au ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, avril 2011.
  6. [6] « Deux-tiers des jeunes de plus de 18 pays avouent avoir été victimes d’intimidation et de brutalité », UNICEF, le 12/08/2016, consulté le 17/01/2018.
  7. [7] Anna Benjamin, « Harcèlement scolaire : “Elle a commencé à m'insulter sur Snapchat puis en vrai” », L'Express, le 09/11/2017.
  8. [8] Nicole Catheline, Le harcèlement scolaire, Presses Universitaires de France, 2015.
  9. [9] Audrey Arnoult, « Nicole Catheline, Le harcèlement scolaire », Les comptes rendus, le 29/11/2015. URL, consulté le 09/03/2018.
  10. [10] Nicole Catheline, « Conclusion », Le harcèlement scolaire, Presses Universitaires de France, 2015, p. 121-122.