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Le droit à l'autodétermination : les dix questions clés

Vilaweb.cat | Traduit et complété par Guilhèm Moreau | Publié le 31/08/2015

 

Le droit à l'autodétermination est pleinement reconnu par le droit international et, en principe, aucun État ne peut s'y opposer. Cependant, certains peuples souhaitant être reconnus comme des États souverains se heurtent, pour des raisons diverses, à un manque de reconnaissance diplomatique.

 Carte des États non reconnus internationalement. © Atlasocio.com

1. Le droit à l’autodétermination des peuples existe-t-il ?

Oui. La loi internationale le définit comme étant jus cogens, c’est-à-dire relevant des principes de droits réputés universels et supérieurs. Ces règles sont issues du droit international et en principe aucun État ne peut les nier ou les violer. En effet, la communauté internationale les considère comme étant au dessus de toute législation nationale, soit parce que la pratique prévaut (déjà indépendant de facto, Ndlr), soit parce que les traités internationaux l’ont décrété ainsi. Cela concerne par exemple la prohibition du génocide, de la piraterie maritime, de l’esclavage ou de la torture.

Le droit à l’autodétermination des peuples est donc juridiquement considéré comme étant un principe impératif, à l’instar des sentences prononcées par la Cour internationale de justice (CIJ) ou celles mentionnées au sein de la Charte des Nations unies.

2. En quoi consiste le droit à l’autodétermination ?

Le droit à l’autodétermination est le droit d’un peuple ou d’une nation à disposer d'eux-mêmes, autrement dit de décider d’être indépendant ou non. Ce droit ne présuppose pas la volonté d’indépendance et n’oblige d’aucune sorte une nation à décréter unilatéralement l’indépendance. Il explicite simplement le fait d’avoir le droit de choisir d’être indépendant ou non.

En termes juridiques le droit à l’autodétermination est le principe « selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère ».

3. Quelle est la règle des Nations unies donnant droit à l’autodétermination ?

La Charte des Nations unies (de 1945, Ndlr), que chaque État membre se doit de ratifier, mentionne parmi « les buts » de l’organisme de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes » (article 1, alinéa 2).

En outre, l’ONU réaffirme par l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 que « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »


4. Les opposants à l’autodétermination affirment qu’aucun État ne reconnaît ce droit. Comment peut-il donc être un principe impératif ?

Il n’est pas vrai qu’aucun État ne reconnait ce droit. Et, quand bien même un État refuserait, il serait rappelé à l’ordre par la communauté internationale. Dans les législations nationales respectives il y a une contradiction flagrante quant au respect de cette pratique politique: on ne reconnait aucunement le droit à l’autodétermination d’un peuple à l’intérieur de ses propres frontières mais on les reconnaît en dehors. Cela est une pratique politique courante. Par exemple, en 2014 le congrès espagnol a reconnu l’État de Palestine. Il reconnaissait ainsi de manière implicite le droit à l’autodétermination, tout en niant ce droit pour les cas internes (la Catalogne notamment, Ndlr).

5. Y a-t-il des pays qui reconnaissent le droit à l’autodétermination au sein de leurs constitutions ?

Oui. L’opinion selon laquelle seule l’Éthiopie reconnaît ce droit dans sa législation est erronée. Indirectement, le droit à l’autodétermination est reconnu par tous les État qui intègrent au sein de leurs constitutions respectives le respect des règles du droit international – autrement dit l’immense majorité. De manière plus directe, reconnaître le droit à l’autodétermination des minorités nationales n’est pas une pratique courante pour des raisons évidentes de souveraineté, mais bon nombre d'États, lorsqu’il s’agit d’expliquer la légitimité de leur accession à l'indépendance, basent leurs arguments sur l’invocation de ce même droit à l’autodétermination. En 2015, trente huit États reconnaissent dans leurs constitutions en vigueur l’existence du droit à l’autodétermination :

États reconnaissant dans leurs constitutions l’existence du droit à l’autodétermination

Ordre alpha. État Commentaire
© Atlasocio.com
  Afrique du Sud  
  Allemagne  
  Angola  
  Bangladesh  
  Bolivie Accorde explicitement ce droit aux nations amérindiennes du pays
  Brésil  
  Cap-Vert S’oblige constitutionnellement à soutenir les peuples qui luttent pour l’autodétermination
  Colombie  
  Croatie  
  Cuba  
  Équateur  
  Estonie Reconnait les minorités nationales
  Éthiopie Reconnait le droit à la sécession des nations qui la composent
  France Reconnait le droit à l’autodétermination des territoires d’Outre-mer
  Guinée-Bissau Reconnait le droit de tous les peuples à l’autodétermination et s’oblige à les soutenir
  Honduras  
  Hongrie Reconnait les droits de ses minorités
  Iran  
  Kosovo  
  Lettonie  
  Mexique Reconnait le droit à l’autodétermination de ses minorités
  Monténégro  
  Nicaragua  
  Paraguay  
  Philippines  
  Portugal Reconnait dans sa constitution le droit à l’indépendance de tous les peuples
  Qatar  
  République dominicaine  
  Russie  
  Serbie  
  Slovaquie  
  Slovénie  
  Soudan Reconnaît encore au sein de sa constitution le droit au Soudan du Sud à l’autodétermination
  Suriname  
  Timor oriental  
  Turkménistan  
  Ukraine  
  Venezuela  

En outre, des États reconnaissent le droit à l’autodétermination de manière explicite dans leurs lois, bien que ne figurant pas dans leurs constitutions respectives :

États reconnaissant le droit à l’autodétermination dans leurs lois mais non dans leurs constitutions

Ordre alpha. État Commentaire
© Atlasocio.com
  Canada Reconnait des droits spécifiques au Québec
  Danemark Reconnait l’autodétermination aux Îles Féroé et au Groenland
  États-Unis Le droit de sécession est reconnu
  Finlande Reconnait l’autodétermination aux Îles Åland
  Italie Reconnaît à l’Autriche un rôle de tutelle au Sud-Tyrol
  Royaume-Uni Reconnaît le droit à l’autodétermination à de nombreux territoires dépendants de la Couronne
  Suisse Reconnaît le droit à l’autodétermination des cantons


6. Qui a droit à l’autodétermination ?

C’est le point le plus compliqué de tous car il n’existe pour l’heure aucune définition juridique précise de ce qu’est un « peuple » ou une « nation ». Le droit à l’autodétermination s’applique comme une règle indiscutable et ce, quelle que soit la situation coloniale – et en particulier celles figurant sur la liste des colonies définies par les Nations unies [1]. Ce droit, personne ne peut le discuter. Concernant l’autodétermination des peuples « non colonisés », il y a de nombreuses discussions mais pas d’unanimité.

7. Dans ce cas, un territoire non reconnu comme « colonie » ne peut donc prétendre au droit à l’autodétermination ?

Pas tout à fait. Si un territoire est internationalement reconnu comme étant une colonie, personne ne peut discuter de son droit à l’autodétermination. Cela vaut pour les colonies actuellement reconnues comme telles par les Nations unies, dont Gibraltar (qui a exercé son droit à l’autodétermination en choisissant de rester dans le Royaume-Uni), la Nouvelle Calédonie (un référendum d'autodétermination sur l'indépendance est prévu en 2016 avec la France), ou bien encore le Sahara occidental (qui, pour les Nations Unies, continue d’être une colonie de l'Espagne).

Si un peuple ne fait pas partie de cette liste, le droit à l’autodétermination doit être déterminé par un accord politique des États concernés. Encore que le système des Nations unies a déjà clairement définit, par le biais des décisions prononcées par la CIJ, que ce droit n’est pas uniquement réservé aux colonies mais s’applique à n’importe quel territoire, quel que soit l’État.


8. Y a-t-il un exemple de territoire non colonial pour qui le droit à l’autodétermination a été reconnu ?

Au cours du 21e siècle, tous les nouveaux États ont été reconnus en vertu du droit à l’autodétermination, et la plupart d’entre eux sont apparus en Europe, plus que tout autre continent. Mais le cas le plus atypique est certainement celui du Kosovo. En 2015, son indépendance est pleinement reconnue par 111 des 193 États membres des Nations unies, et entretiennent à ce titre des relations diplomatiques. Quelques États, comme l’Espagne, reconnaissent le droit du peuple kosovar à l’autodétermination mais ne reconnaissent pas l’État qui en résulte, car divergent sur le processus de sa création. D’autres pays, en particulier la Serbie, ne reconnaissent pas l’indépendance du Kosovo [2].

 Carte de la reconnaissance internationale de la République du Kosovo. On remarquera que le monde se scinde en deux groupes : le premier se compose majoritairement d'États "atlantistes" et/ou proches diplomatiquement des États-Unis, le second est mené par les adversaires "historiques" de l'OTAN (Russie et Chine en tête). © Atlasocio.com

En général, le droit à l’autodétermination est lié à la reconnaissance d’un acte politique. Lorsqu'un peuple, quelle que soit sa définition, enclenche auprès des instances internationales un processus d’indépendance, les États favorables le reconnaissent sur la base du droit à l’autodétermination et ce, même si d’autres s’y opposent.

9. Ainsi, tout dépend de l’arbitraire politique de chaque État ?

Non, pas seulement. Comme évoqué précédemment, le droit à l’autodétermination est reconnu internationalement. C’est précisément le cas pour le Kosovo qui a obtenu une décision historique de la CIJ [3]. Cette dernière a reconnu l’indépendance du Kosovo, validée au nom du principe d’autodétermination proclamé dans la Charte des Nations unies. Cependant, cela ne veut pas dire que l’exercice du droit à l’autodétermination est automatique.

10. Finalement, un État peut-il invoquer ses propres lois ou sa constitution pour nier le droit à l’autodétermination ?

Il peut effectivement le faire à des fins de politique intérieure, bien que cela ne soit pas compatible avec les lois internationales et n’a donc aucune valeur juridique légale. La décision relative à l’indépendance du Kosovo de la part de la CIJ est une première dans le sens où il est spécifié qu’aucun droit national ni international ne peut être invoqué afin d’empêcher l’indépendance. Cette décision précise également qu’une déclaration unilatérale d’indépendance n’a violé aucune norme juridique internationale. En outre, la CIJ affirme que toute référence à l’unité nationale ou à l’inviolabilité des frontières inscrite dans la constitution d’un État déjà constitué ne doit être interprétée pour faire obstacle au droit à l’autodétermination.

Pour conclure, le droit international relatif au souhait d'autodétermination reste la plupart du temps impuissant face au jeu des alliances diplomatiques.

Article original disponible en catalan  “Dret d’autodeterminació : les deu preguntes clau”, ainsi qu'en occitan “Drech d’autodeterminacion : las dètz questions clau”

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Notes et références

  1. [1] Liste des colonies définies par les Nations unies. URL, consulté le 31/08/2015.
  2. [2] Lors de la rédaction de cet article, la Serbie et le Kosovo n’avaient pas encore signé l’accord du 25 août 2015 dans plusieurs secteurs clés (dont l’énergie et les télécommunications). Cela représente une avancée majeure dans la normalisation des relations entre les deux pays depuis la guerre et la déclaration unilatérale d’indépendance de Pristina en 2008.
  3. [3] “Accordance with international law of the unilateral declaration of independence in respect of Kosovo”, International Court of Justice, The Hague, Netherlands, 22 July 2010. En ligne (PDF) , consulté le 31/08/2015.