Accueil » Revue » Géopolitique » Réfugié, demandeur d’asile, migrant et déplacé interne : quelles différences ?
par Atlasocio.com | Publié le 31/07/2017 • Mis à jour le 18/10/2019
En raison des tensions politiques et économiques, le débat sémantique s’est installé en Europe : parle-t-on de migrants, de réfugiés ou de demandeurs d’asile ? Puis, question subsidiaire, qu’est-ce qu’un « déplacé interne » ?
Un camp de déplacés dans le gouvernorat d'Idlib en Syrie. © Ahmed akacha.
Les flux migratoires sont traditionnellement classés selon leurs mobiles, soit économiques (déplacement de travailleurs), soit contraints (fuite des persécutions, guerres, etc.). Néanmoins, ces dernières années, et plus particulièrement depuis les conflits armés survenus à la suite des Printemps arabes (2010-2012), le débat sémantique s’est installé en Europe : comment qualifier les milliers de personnes qui, au péril de leur vie, échouent sur les côtes méditerranéennes ?
Outre l'aspect humaniste stricto sensu de savoir si un « migrant » mérite autant d’empathie qu’un « réfugié », il s'agit également d'une problématique d'ordre juridique, comme le souligne le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) : « Les deux termes ont des significations distinctes et différentes. Les confondre pose des problèmes à ces deux populations » [1]. Concrètement, qui remplit les critères permettant d’obtenir l’asile politique et qui ne les remplit pas ?
Carte du monde des réfugiés et demandes d'asile en 2018. Consulter les cartes de cette thématique. © Atlasocio.com
Définition juridique du statut de « réfugié »
« A. Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s'appliquera à toute personne : [...] 2) Qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
Article 1er A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de son Protocole de 1967.
▶ CONSULTER : Liste des États parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et/ou à son Protocole de 1967
Toute personne susceptible d’être reconnue comme réfugiée [2] en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et/ou à son Protocole de 1967, sans oublier le statut spécifique des réfugiés palestiniens et leurs descendants défini par l’UNRWA [3], est en droit de déposer une demande d’asile.
Rang | État ou territoire | Réfugiés et demandes d'asile | |||
---|---|---|---|---|---|
1990 | 2000 | 2010 | 2018 | ||
© Atlasocio.com | |||||
Turquie | 28 000 | 3 103 | 10 032 | 3 681 685 | |
Jordanie | 929 737 | 1 610 638 | 2 450 381 | 2 950 529 | |
Palestine | 910 637 | 1 428 891 | 2 015 855 | 2 271 102 | |
Liban | 304 599 | 382 744 | 463 436 | 1 424 592 | |
Pakistan | 3 255 975 | 2 001 466 | 1 900 621 | 1 404 019 | |
Ouganda | 145 718 | 236 622 | 135 801 | 1 165 653 | |
Soudan | 1 031 050 | 414 928 | 178 308 | 1 078 287 | |
Allemagne | 816 000 | 906 000 | 594 269 | 1 063 837 | |
Iran | 4 174 401 | 1 868 000 | 1 073 366 | 979 435 | |
Bangladesh | 145 | 2 627 | 229 253 | 906 645 |
Les États signataires de la Convention relative au statut des réfugiés se doivent de ratifier et de transposer ce traité international dans leurs systèmes juridiques respectifs. En France, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) précise que l'interprétation de l'article 1er A2 « est réalisée à la lumière de la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour nationale du droit d'asile », et que les actes et les motifs de persécution « doivent également être appréciés dans les conditions prévues par les directives européennes » [4]. Le demandeur d’asile doit donc argumenter auprès de l’État d’accueil en fournissant la preuve des menaces dont il fait l'objet.
Différence entre un « demandeur d’asile » et un « réfugié »
▶ Un demandeur d’asile est un étranger inscrit dans une procédure administrative visant à obtenir la reconnaissance du statut de réfugié auprès d’un État d’accueil et signataire de la Convention de 1951 ou de son Protocole.
▶ Un réfugié est un étranger qui a obtenu une réponse favorable à sa demande d’asile et qui, de ce fait, est autorisé à séjourner dans son État d’accueil.
Carte des États parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et/ou à son Protocole de 1967. © Atlasocio.com
Ainsi, un demandeur d’asile ou un réfugié n’est pas un migrant économique, et encore moins un étranger en situation irrégulière puisque déclaré auprès de l’administration de son pays d’accueil. Cependant les contextes sont variés et complexes : 43 États membres des Nations Unies n’ont pas signé ou ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et/ou son Protocole alors même que certains d'entre eux accueillent de nombreux civils fuyant les combats [5]. Or, ne pas être signataire affecte la capacité de l’UNHCR de travailler avec les États concernés afin de veiller au respect des normes humanitaires internationales sur leurs territoires.
Selon le dictionnaire Larousse, un « migrant » est une personne qui effectue un « déplacement volontaire […] d'un pays dans un autre ou d'une région dans une autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». L’Unesco considère un migrant « comme toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays », et prévient que « cette définition est peut-être trop restrictive lorsque l’on sait que certains pays considèrent comme migrants des personnes nées dans le pays » [6]. Les « migrants économiques » sont définis par la Convention des Nations sur les droits des travailleurs migrants comme « les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes ».
En 2002, un rapport de l’ONU [7] propose d’inclure dans la catégorie des migrants :
▶ Les personnes qui se trouvent hors du territoire de l’État dont elles possèdent la nationalité ou la citoyenneté, mais qui ne relèvent pas de la protection juridique de cet État, et qui se trouvent sur le territoire d’un autre État;
▶ Les personnes qui ne jouissent pas du régime juridique général inhérent au statut de réfugié, de résident permanent, de naturalisé ou d’un autre statut octroyé par l’État d’accueil;
▶ Les personnes qui ne jouissent pas non plus d’une protection juridique générale de leurs droits fondamentaux en vertu d’accords diplomatiques, de visas ou d’autres accords.
De ce fait, migration « souhaitée » et migration « forcée » deviennent difficiles à distinguer : comment savoir qui quitte son pays à cause de persécutions politiques, conflits, dégradation environnementale ou une combinaison de toutes ces raisons ; et qui recherche du travail ou une meilleure qualité de vie ailleurs que dans son pays d’origine ? Un imbroglio juridique tributaire des politiques d’immigration des États respectifs, confrontés depuis 2011 à l’afflux de milliers de civils fuyant les conflits armés d’Afrique (Libye, Somalie, Nigeria, Congo RDC) ou d’Asie (Syrie, Iraq, Afghanistan) [8].
▶ LIRE AUSSI : Réfugiés syriens : quels États les accueillent ?
Afin de couvrir les situations massives de réfugiés, la Convention de l'Organisation de l'Unité africaine de 1969 a apporté une définition élargie au terme de « réfugié », permettant à des millions de personnes de bénéficier d'une meilleure protection et inspirant des applications juridiques similaires partout à travers le monde. C'est le cas notamment d'une note du HCR d'octobre 2013 consacrée à la Syrie [9] qui déclare reconnaître comme «réfugié» tout individu fuyant les combats (enfants en danger, femmes risquant d’être violées ou mariées de force, journalistes, opposants politiques, soutiens au gouvernement menacés par les rebelles, etc.), à la seule exception des personnes ayant commis des actes de violence. En définitive, cette disposition revient à attribuer le statut de réfugié à l’ensemble de la population syrienne, d'où une confusion/méfiance de l'opinion publique à l'égard du « migrant » – terme de plus en plus connoté péjorativement – que les politiques migratoires restrictives tentent d'exploiter.
Le vocable « réfugié » est fréquemment employé de façon erronée pour désigner un « déplacé interne » [10]. De prime abord, peu de différences entre les deux car les déplacés internes ont quitté leur lieu de résidence habituel pour des raisons similaires à celles des réfugiés : conflits armés, violations des droits humains, etc. Cependant, contrairement aux réfugiés, les déplacés internes n'ont pas traversé de frontière internationale afin de chercher asile dans un autre pays.
▶ VOIR AUSSI : Cartes du monde relatives aux déplacés internes
Définition de « déplacé interne » :
« Personne ou groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État ».
Source : « Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays », UNHCR, février 1998.
Par conséquent, ces personnes demeurent légalement sous la protection de leurs gouvernements respectifs alors même que ces derniers sont souvent à l'origine des persécutions. Bien que le mandat du HCR ne couvre pas les déplacés internes, l’ampleur de la situation – 40,3 millions de déplacés internes pour cause de conflits armés en fin d’année 2016 – pousse l’agence internationale à apporter aide et soutien logistique.
Au regard des difficultés à définir les termes de « migrant » et de « réfugié », la question de la pertinence de classer chaque individu selon une catégorie précise se pose. Certes, opérer des distinctions juridiques apparaît indispensable afin d'organiser les politiques d'immigration, mais la complexité des migrations récentes rend impossible tout consensus sémantique. En effet, les trajectoires migratoires combinent problématiques spatiales (étapes multiples tant dépendantes des éléments géographiques que des facilités/coûts liés aux transports des usagers), temporelles (séjours définitifs ou temporaires étalés sur plusieurs semaines/mois/années), et administratives (relations diplomatiques interétatiques, adhésion ou non aux traités internationaux).
Les motivations relatives à la mobilité cumulent donc des facteurs politiques, socio-économiques, et désormais environnementaux, soit autant d'indicateurs difficiles à évaluer avec précision. Selon le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR), si la comptabilisation des déplacés internes en raison de catastrophes naturelles (séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, inondations...) pour une année donnée est plus ou moins fiable, aucune estimation n'est disponible pour quantifier le suivi de ces victimes sur le long terme. De plus, les déplacés internes et les migrants résultant de dégradations climatiques plus étalées dans le temps (désertification, déforestation, hausse du niveau des mers) demeurent un véritable défi statistique.
Enfin, il conviendrait de ne pas nier et/ou sous-estimer les migrations entre États pauvres. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) rappelle au sein d'un rapport [11] que seulement la moitié des migrations internationales vont des pays les moins avancés vers les pays développés, le reste se dirigeant vers d'autres pays du Sud, dont 80% entre États frontaliers.