Accueil » Revue » Géopolitique » Réfugiés syriens : quels États les accueillent ?
Par Atlasocio.com | Publié le 21/09/2015 • Mis à jour le 04/03/2020
Depuis le début de la guerre en mars 2011, le conflit syrien compte plus de 380 000 morts – dont 115 000 victimes civiles – en janvier 2020. Environ 12,8 millions de personnes sont en attente d'une aide humanitaire, provoquant une vague sans précédent de réfugiés aux portes de l'Europe. Une situation dramatique qui ne peut être comprise sans prendre connaissance des conditions de vie des réfugiés au sein des centres d'accueil des États voisins, totalement submergés.
Carte de l'accueil des réfugiés syriens dans le monde, juillet 2016. © Atlasocio.com
▶ CONSULTER : Liste des États parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et/ou à son Protocole de 1967
Le 4 juillet 2016, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a comptabilisé 4 819 828 réfugiés syriens. 95 % d'entre eux sont répartis dans seulement cinq pays du Moyen-Orient :
▶ 2 733 044 en Turquie (pour une capacité de 250 000 places en fin d'année 2015), soit plus que tout autre pays au monde. Cependant, la Turquie ne considère pas les syriens accueillis comme des « réfugiés », ce qui explique l’absence du HCR dans ce pays, dont la situation est gérée par l’IFAD, une association turque ;
▶ 1 033 513 au Liban (contre plus de 1,2 million en été 2015), soit environ une personne sur cinq dans le pays ;
▶ 657 433 en Jordanie, un chiffre qui représente environ 10% de la population, sans compter les réfugiés palestiniens déjà présents sur son sol ;
▶ 249 395 en Iraq (principalement en zone kurde), où 3 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays au cours des 18 derniers mois ;
▶ 117 168 en Égypte, contre 132 375 en juillet 2015.
Un chiffre officiel de 4,8 millions de réfugiés syriens qui est certainement sous-estimé, comme le souligne le chercheur Fabrice Balanche : « une enquête de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth estime que 20% des réfugiés syriens ne sont pas enregistrés » [1]. Ainsi, alors que le Liban compte officiellement entre 1 et 1,2 million de réfugiés en septembre 2015, le nombre réel avoisinerait plutôt 1,5 million.
Amnesty international, dans un communiqué du 3 février 2016, déclare que « seuls 61% du montant de l'appel de fonds lancé par l'ONU pour répondre aux besoins humanitaires des réfugiés syriens avaient été obtenus à la fin de l’année 2015. » [2]. Concrètement, poursuit l'ONG, « les réfugiés syriens les plus vulnérables au Liban ne reçoivent que 21,60$ par mois soit 0,70 cents par jour pour l'aide alimentaire, ce qui est bien en-dessous du seuil de pauvreté fixé par l’ONU à 1,90$ ». En Jordanie la situation n'est guère meilleure où 86% des réfugiés syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté local. La saturation du Liban et de la Jordanie s’explique également par le fait qu’ils accueillent déjà de nombreux réfugiés palestiniens, dont le nombre est estimé à 5 millions, répartis dans 58 camps officiels :
État ou territoire | Camps officiels | Nombre de réfugiés enregistrés | ||
---|---|---|---|---|
© Atlasocio.com | ||||
Jordanie | 10 | 2 117 361 | ||
Bande de Gaza (Palestine) | 8 | 1 276 929 | ||
Cisjordanie (Palestine) | 19 | 774 167 | ||
Syrie | 9 | 528 616 | ||
Liban | 12 | 452 669 | ||
TOTAL | 58 | 5 149 742 |
A SAVOIR : Selon le HCR, derrière la Syrie et ses 4 millions de réfugiés en 2015, viennent l'Afghanistan (2,7 millions), la Somalie (1,1 million), le Soudan (670 000), le Soudan du Sud (509 000), la République démocratique du Congo (493 000), Myanmar (Birmanie) (480 000) et l'Iraq (426 000). Les réfugiés palestiniens (5 millions) sont comptabilisés par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Selon le HCR, 400 000 réfugiés syriens dans les cinq principaux pays hôtes – soit 10% – ont besoin d'être réinstallés de toute urgence. A la mi-septembre 2015, 104 410 places d'accueil ont été offertes au niveau mondial, ce qui ne représente que 2,6% de la population totale des réfugiés syriens au Liban, en Jordanie, en Iraq, en Égypte et en Turquie.
Certains pays à hauts revenus tels que le Japon, Singapour, Israël ou bien encore la Corée du Sud ont clairement refusé d'offrir l'hospitalité aux réfugiés. Il est cependant très difficile d’établir un recensement fiable des réfugiés syriens à travers le monde. D’abord les promesses politiques ne sont pas forcément suivies d’effets (Cf. ci-après les cas du Maroc, du Venezuela ou de l'Australie). Ensuite, les chiffres déclarés par les États respectifs sont souvent bien supérieurs à ceux émis par le HCR. Deux raisons à cela: une diplomatique, où refuser d’accueillir des civils fuyant la guerre ne donne évidemment pas une bonne image et « gonfler » les chiffres permet de se prémunir de toute critique éventuelle ; une juridique, car les critères du HCR relatifs au statut de « réfugié » ne sont pas forcément les mêmes que ceux retenus par chacun des États, d’autant plus que certains ne sont pas signataires des conventions internationales qui définissent le statut de réfugié. Si on ajoute à cela les organes de presse proches du pouvoir (qui vont parfois jusqu’à multiplier par deux ou trois le nombre de réfugiés déclarés), ainsi que les organisations d’opposition (qui eux diminuent considérablement les chiffres des ministères concernés), un décompte objectif des réfugiés syriens devient quasiment mission impossible.
Pour rappel : carte de l'accueil des réfugiés syriens dans le monde en septembre 2015. © Atlasocio.com
▶ LIRE AUSSI : Réfugié, demandeur d’asile, migrant et déplacé interne : quelles différences ?
L'exemple des monarchies du Golfe
Une autre guerre fait rage du côté des monarchies du Golfe, médiatique cette fois. L'Arabie saoudite, le Qatar, Oman, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Koweït ne sont pas signataires des conventions internationales qui définissent le statut de réfugié. Le discours tenu par les responsables politiques et médiatiques des monarchies du Golfe afin de répondre aux critiques témoigne en outre d’une indifférence à peine masquée. Un journaliste koweïtien a ainsi expliqué à la télévision « que son pays ne pouvait accueillir des réfugiés en raison de leur pauvreté, ces derniers étant de plus jugés inaptes à s'intégrer dans l'Emirat en raison de leurs problèmes psychologiques et nerveux » [3]. Certains officiels et universitaires de la région défendent le fait que les monarchies financent de nombreuses actions humanitaires en faveur des réfugiés. Certes, mais lorsque l'Union européenne (UE) verse 3,35 milliards d'euros et les États-Unis 1,1 milliard de dollars d'aide humanitaire dans le cadre de la crise syrienne, le Koweït engage 304 millions de dollars et l'Arabie saoudite, pays de loin le plus riche et le plus puissant de la région, seulement 18 millions.
Depuis, alors que la crise des migrants dégénère aux frontières de l’Europe, et en réponse à ces accusations, les États du Golfe ont déclaré avoir assoupli leurs lois relatives à l'entrée sur leurs territoires ou à l’obtention d’un titre de séjour afin d’accueillir un nombre important de ressortissants syriens. Ainsi, le ministère saoudien des Affaires étrangères a affirmé que l'Arabie saoudite a accueilli environ 2,5 millions de Syriens depuis le début de la crise dans ce pays en 2011 et que 100 000 étudiants syriens sont inscrits dans les écoles publiques [4]. Du côté des Émirats arabes unis, le gouvernement a déclaré avoir fourni des permis de séjour à plus de 100 000 syriens qui sont entrés dans le pays depuis 2011 et que plus de 242 000 ressortissants syriens vivent actuellement dans le pays [5]. Cependant, la socio-démographe Françoise De Bel-air souligne dans un rapport publié en 2015 que « les rares données disponibles sur les ressortissants syriens dans chaque pays du Golfe ne sont pas suffisamment détaillées pour permettre de mesurer avec précision la taille et de la structure des flux de ressortissants syriens à destination des pays du Golfe comme un effet direct du conflit. La déclaration faite par l'Arabie saoudite est, en particulier, impossible à vérifier en raison du manque de données » [6].
Aussi, les chiffres revendiqués par les monarchies du Golfe (420 000 pour l’Arabie saoudite, 242 000 pour les Émirats arabes unis, 155 000 pour le Koweït) ne peuvent être pris en compte dans le recensement des réfugiés syriens à l’étranger. Pour ces trois pays, les seuls rapports disponibles font uniquement état de rapprochements familiaux: les travailleurs syriens déjà présents sur leurs territoires avant la guerre civile ont obtenu la possibilité de faire venir femmes et enfants. En revanche, aucun visa n’a été délivré à l’attention de réfugiés syriens dans la région, à l’exception du Qatar qui en a accueilli seulement 42 en 2015 (à ne pas confondre avec les 40 000 travailleurs syriens déjà présents avant 2011). Le cas du Bahreïn est quant à lui singulier: l'opposition bahreïnie affirme que le gouvernement, en profitant des regroupements familiaux depuis 2012, a tenté de naturaliser des milliers de réfugiés syriens sunnites dans l’unique but de modifier l'équilibre démographique du Royaume. En effet, bien que minoritaires, les sunnites y détiennent les rênes du pouvoir avec l’appui militaire de Riyad.
Europe
Pour des raisons géographiques évidentes, l'Europe est en première ligne dans l'accueil des réfugiés syriens, dont les données statistiques disponibles sont à l'heure actuelle les plus fiables. Selon Frontex, l’agence européenne chargée des frontières extérieures de l’espace Schengen, 500 000 hommes, femmes et enfants ont été dénombrés aux frontières de l’Union européenne (UE) depuis le début de l’année 2015, contre 280 000 en 2014. Depuis le 1er janvier 2015, l'arrivée des réfugiés et migrants pèse principalement sur la Grèce (250 365 personnes accueillies) et l’Italie (121 000). Deux autres pays de l’UE sont également très sollicités, il s’agit de l’Allemagne et de la Suède qui rassemblaient en fin 2015 64% des demandes d’asiles. Proportionnellement, la Suède tient de loin la première place pour l'accueil des réfugiés, 110 579 personnes sont déjà accueillies depuis le début du conflit en 2011.
Le cas de la Russie est plus ambigu. Dans un premier temps, Moscou a déclaré ne pas se sentir concerné par les réfugiés syriens, submergé par 1,2 million d'ukrainiens russophones suite à la crise ukrainienne en fin 2013. Depuis le début du conflit syrien, la Russie semble être un pays de transit. En 2015, le Service fédéral migratoire russe (FMS) estime que sur les 7 162 Syriens arrivés en Russie, 7 103 ont quitté le pays. Et, toujours selon le FMS, 12 000 syriens sont arrivés en Russie depuis 2011, 2 000 d'entre eux ont obtenu l'asile temporaire dans le pays (1 000 pour la seule année 2015), 2 666 le permis de séjour temporaire, 2 029 le permis de séjour permanent et 5 000 autres attendent une décision judiciaire. Konstantine Romodanovski, chef du FMS, a déclaré en janvier 2016 que 7 000 Syriens vivaient actuellement dans le pays. Mais la plupart de ceux désirant rester en Russie sont des Tcherkesses et des Tchétchènes de nationalité russe qui ont fui la Syrie pour se réfugier dans leur région d'origine au Caucase Nord, principalement en Kabardino-Balkarie. On peut donc estimer entre 4 000 et 5 000 le nombre de réfugiés syriens en Russie [7].
Rang | État | Réfugiés syriens enregistrés |
---|---|---|
© Atlasocio.com | ||
Allemagne | 354 038 | |
Serbie et Kosovo | 313 656 | |
Suède | 110 579 | |
Hongrie | 72 505 | |
Autriche | 39 786 | |
Pays-Bas | 32 070 | |
Danemark | 19 545 | |
Bulgarie | 17 810 | |
Belgique | 16 049 | |
Norvège | 14 048 | |
Suisse | 13 028 | |
France | 12 142 | |
Grèce | 12 138 | |
Royaume-Uni | 9 649 | |
Espagne | 8 861 | |
Russie | 4 500 | |
Chypre | 3 527 | |
Montenegro | 2 976 | |
Italie | 2 825 | |
Roumanie | 2 582 | |
Macédoine | 2 171 | |
Finlande | 1 661 | |
Malte | 1 352 | |
Luxembourg | 886 | |
Pologne | 784 | |
Croatie | 421 | |
République Tchèque | 397 | |
Slovénie | 348 | |
Portugal | 206 | |
Irlande | 193 | |
Albanie | 190 | |
Bosnie-Herzegovine | 106 | |
Lettonie | 103 | |
Slovaquie | 64 | |
Islande | 61 | |
Estonie | 42 | |
Lituanie | 39 | |
Liechtenstein | 6 |
Maghreb
Bien que peu médiatisé, l'accueil des réfugiés syriens au Maghreb remonte au tout début de la guerre civile en 2011. Ainsi, selon des chiffres révélés par le ministère algérien de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, environ 24 000 réfugiés syriens étaient accueillis en Algérie en septembre 2015. Le 20 juin 2016, le représentant du HCR en Algérie Hamdi Bukhari a souligné la présence dans le pays de plus de 40 000 Syriens, tout en rappelant la difficulté à distinguer migrants et réfugiés [8]. Ce nombre, relativement élevé, peut s'expliquer par les liens historiques et l’absence d’un visa de circulation entre les deux États : c'est à Damas que l'émir Abd el-Kader, premier résistant à la colonisation française, ainsi que 12 000 Algériens trouvent refuge en 1855. Les autorités algériennes ont même cherché à faciliter la scolarisation des enfants réfugiés, un processus d'accueil inexistant dans les autres pays d'Afrique du Nord.
Arrivés au Maroc pour la plupart de manière clandestine depuis la Turquie ou via l’Algérie, le ministre chargé des Affaires de la migration marocain déclare avoir accordé un titre de séjour à près de 5 000 Syriens en 2014. Mais, sur la même période, seuls 700 d’entre eux ont été reconnus réfugiés par le HCR, 1 400 depuis 2011. Par la suite, les autorités marocaines ont demandé au HCR de stopper l’enregistrement des Syriens, promettant qu'un « statut spécial leur sera accordé ». Plus de deux ans après le flou juridique demeure et les 3 058 ressortissants syriens n’ont toujours pas de statut précis, eux qui représentent 67% des personnes sous mandat du HCR au Maroc [9]. De ce fait, bien qu'enregistrés auprès du HCR, les Syriens en terre marocaine ne peuvent pas bénéficier d’une carte de séjour leur donnant le droit d’accéder aux services de santé et d’éducation, ainsi qu'au marché du travail.
En mai 2015, 611 réfugiés syriens sont comptabilisés par le HCR en Tunisie. Mais, d'après les résultats d'une étude réalisée par Sigma Conseil, le nombre de réfugiés syriens en Tunisie varierait entre 9 000 et 12 000 personnes [10]. Pour ce qui concerne la Libye, 90 000 Syriens étaient résidents-travailleurs avant 2011. Les côtes du pays regorgent de passeurs, prêts à embarquer les Syriens à prix d'or vers les côtes italiennes. De peur des représailles, les réfugiés se tiennent à l'écart des centres gérés par les organisations caritatives, préférant se loger chez des amis. Aucun décompte fiable ne peut être avancé.
Amérique du Sud
L'Uruguay a été le premier État d'Amérique du Sud à avoir mis en place un plan d'accueil des réfugiés syriens (120 en 2015). Mais d'autres pays de l'Amérique latine se mobilisent également comme le Brésil qui accueille déjà 2 000 syriens depuis 2013 et a émis 7 000 visas en février 2016 à l'attention des réfugiés syriens. L'Argentine n'est pas en reste avec plus de 300 familles de réfugiés syriens en août 2013, et 3 000 places offertes en 2016. Le président du Venezuela Nicolas Maduro a déclaré en septembre 2015 vouloir recevoir 20 000 réfugiés syriens, une promesse non suivie d'effet en juillet 2016. La création d'un « visa humanitaire » pour les Syriens a été proposée par le Pérou, la Colombie (10 réfugiés en décembre 2015 mais partis depuis), la Bolivie et l'Équateur [11].
Amérique du Nord
Le Canada déclare avoir réinstallé 28 876 réfugiés syriens entre le 4 novembre 2015 et le 10 juillet 2016 [12], un engagement qui est censé se poursuivre tout au long de l'année 2016. Les États-Unis ont accueilli environ 8 055 réfugiés/ressortissants syriens. Un processus d'accueil qui a été lent à se mettre en place : ils étaient 15 en 2011, 31 en 2012, 36 en 2013, 208 en 2014, 2 089 en 2015 et 5 676 en 2016 [13]. Le président Barack Obama avait annoncé vouloir accueillir au moins 10 000 réfugiés syriens pour l’année 2016.
Asie et Océanie
Lors de l'Assemblée générale des Nations Unies de l'an dernier, le premier ministre de la Malaisie a déclaré offrir l'hospitalité à 3 000 réfugiés syriens au cours des trois prochaines années [14]. Le pays a reçu 11 Syriens en décembre 2015, puis 68 autres en début 2016.
Très critiquée pour sa politique face aux réfugiés d'Asie du Sud-est, l'Australie avait finalement accepté en septembre 2015 d’accueillir 12 000 réfugiés syriens et irakiens. Cependant, seuls 26 ont effectivement été accueillis en février 2016. La Nouvelle-Zélande participe au programme des réfugiés des Nations unies et a un quota de 750 réfugiés par an, dont 83 places pour ceux en provenance de Syrie en 2014. Le Labour Party et le Green Party néo-zélandais ont déclaré accepter entre 750 et 1 000 réfugiés syriens pour l'année 2016 [15].