Accueil » Revue » Environnement » Dérèglement climatique : un milliard d'enfants en danger à travers le monde
par Atlasocio.com | Publié le 25/11/2021
À l’échelle mondiale, 1 milliard d'enfants sont exposés à des niveaux très élevés de pollution atmosphérique et quelque 850 millions d’enfants – soit un enfant sur trois – vivent dans des régions où au moins quatre chocs climatiques et environnementaux sont combinés tels que les canicules, les cyclones, les inondations ou les pénuries d’eau. Une situation qui se traduit par des environnements particulièrement hostiles pour les plus jeunes.
District de Banderbayla dans la région de Karkar au Puntland (Somalie), novembre 2016. © UNDP Climate
Selon une étude de l’UNICEF intitulée « La crise climatique est une crise des droits de l’enfant : présentation de l’indice des risques climatiques pour les enfants » [2], un milliard d’enfants, soit près de la moitié des enfants de la planète, sont exposés à un risque climatique extrêmement élevé. Il s’agit de la première analyse détaillée relative aux répercussions des différents risques climatiques sur les enfants et ce, tant en termes d’expositions aux chocs climatiques et environnementaux tels que les cyclones ou les vagues de chaleur, qu’en termes de vulnérabilité face à ces dangers compte tenu de leurs possibilités d’accès à des prestations de base. Pour mieux appréhender la situation, l’UNICEF a élaboré l’indice des risques climatiques pour les enfants (IRCE ou Children’s Climate Risk Index en anglais) qui repose sur deux piliers centraux :
– 1) L’exposition aux aléas, chocs et stress climatiques et environnementaux qui comprend la pénurie d’eau, les inondations fluviales, les inondations côtières, les cyclones tropicaux, les maladies à transmission vectorielle, les canicules, la pollution de l’air et la pollution des sols et de l’eau ;
– 2) La vulnérabilité des enfants qui comporte quatre indicateurs principaux : « santé et nutrition des enfants », « éducation », « eau, assainissement et hygiène », « pauvreté, ressources de communication et protection sociale ».
Modèle conceptuel de l’indice des risques climatiques pour les enfants (IRCE) : Piliers et composantes. © UNICEF
Ainsi, bien que les indices de risques climatiques et environnementaux ne soient pas nouveaux, l’IRCE croise statistiquement pas moins de 57 variables disponibles pour 163 pays du monde en intégrant notamment à l’analyse des dimensions de la vulnérabilité plus spécifiques aux enfants comme la santé, l’éducation, la nutrition, l’accès à l’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (EAH) et la protection sociale [3]. En outre, l’IRCE met en exergue des données probantes attestant que des services sociaux résilients sont essentiels afin de protéger les enfants contre les impacts climatiques et/ou environnementaux.
Grâce à des méthodes améliorées d’évaluation de l’exposition via des systèmes d’information géographique (SIG), l’IRCE s'appuie sur des données optimisées haute résolution. L’avantage de recourir aux SIG réside dans l’examen des indicateurs de vastes zones géographiques à l’échelle du kilomètre carré, en outrepassant les frontières d’un district ou d’un pays comme cela est souvent le cas en termes d’études statistiques. Concrètement, la pollution émise depuis un État voisin est appréhendable des deux côtés de la frontière et non uniquement au sein du pays d'où elle provient à l'origine.
L'IRCE examine de manière globale la problématique des inégalités écologiques auxquelles les enfants sont confrontés telles que la pollution atmosphérique ou l’exposition à d’autres stress toxiques et ce, sans se restreindre aux seuls aléas climatiques. Un élargissement du champ d'analyse qui permet à la fois de mesurer, avec plus de précision, les répercussions directes des dangers climatiques et environnementaux sur les enfants tout en augmentant le faisceau des facteurs susceptibles d'engendrer des effets cumulés sur la vulnérabilité des personnes de moins de 18 ans.
Quasiment aucun enfant au monde n'est épargné par une conséquence de la dégradation de l'environnement et du changement climatique. En termes d’ampleur démographique à l’échelle mondiale, l’indice des risques climatiques pour les enfants permet de révéler les données suivantes :
• 240 millions d'enfants – soit un enfant sur dix dans le monde – sont fortement exposés aux inondations côtières ;
• 330 millions d'enfants – un enfant sur sept – sont fortement exposés aux inondations fluviales ;
• 400 millions d’enfants sont fortement exposés aux cyclones ;
• 600 millions d'enfants – un enfant sur quatre – sont fortement exposés aux maladies à transmission vectorielle (paludisme, dengue…), en augmentation constante en raison du réchauffement climatique ;
• 815 millions d'enfants sont fortement exposés aux empoisonnements au plomb ;
• 820 millions d'enfants – un enfant sur trois – sont fortement exposés aux vagues de chaleur ;
• 920 millions d'enfants sont fortement exposés au manque d’eau, dont 100 millions vivent dans une zone à fort risque de pénuries d'eau ;
• 1 milliard d'enfants sont fortement exposés à des niveaux très élevés de pollution atmosphérique (>35µg/m3) [4], tandis que la pollution atmosphérique dans son ensemble (aggravée par les combustibles fossiles) concerne quant à elle 90 % des enfants de la planète.
En recoupant les données disponibles, 850 millions d’enfants – un enfant sur trois dans le monde – vivent dans des régions au sein desquelles au moins quatre de ces chocs climatiques et environnementaux se chevauchent. Pire encore, jusqu’à 330 millions d’enfants – 1 enfant sur 7 dans le monde – vivent dans des régions touchées simultanément par au moins cinq chocs climatiques et environnementaux graves.
D'après l'indice des risques climatiques pour les enfants, un milliard d’enfants – presque la moitié des 2,2 milliards de filles et de garçons dans le monde – vivent dans l’un des 33 pays considérés « à très haut risque » en raison des effets du changement climatique. Dans ces pays, principalement situés en Afrique subsaharienne (Centrafrique, Tchad, Nigeria, Guinée, Somalie...) et en Asie du Sud (Bangladesh, Inde, Pakistan, Birmanie...), plusieurs zones à risques se chevauchent comme les vagues de chaleur, les pénuries d’eau, les maladies à transmission vectorielles (paludisme, dengue...) ou bien encore les inondations fluviales/côtières et la pollution atmosphérique. Ces enfants sont ainsi exposés à une combinaison de chocs environnementaux et climatiques, engendrant une grande vulnérabilité due au manque d’accès aux besoins essentiels.
États les plus touchés | États les moins touchés | ||||
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Rang mondial |
État | Indice IRCE | Rang mondial |
État | Indice IRCE |
© Atlasocio.com | |||||
01 | Centrafrique | 8,7 | 158 | Suède | 1,8 |
02 | Tchad | 8,5 | 159 | Estonie | 1,7 |
02 | Nigeria | 8,5 | 159 | Finlande | 1,7 |
04 | Guinée | 8,4 | 161 | Nouvelle-Zélande | 1,6 |
04 | Guinée-Bissau | 8,4 | 162 | Luxembourg | 1,5 |
06 | Somalie | 8,4 | 163 | Islande | 1,0 |
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Pour autant, les enfants des pays développés ne sont pas épargnés. À titre de comparaison, les États-Unis obtiennent le même indice que la Bolivie, le Pérou ou le Suriname. En Europe, des pays comme la France et l’Italie sont classés parmi les pays à risque « moyen » avec des indices identiques à ceux de l'Argentine et du Kazakhstan. Concernant le cas de la France, les inondations côtières et les vagues de chaleur expliquent la valeur relativement élevée de l’IRCE, même si les enfants de l’Hexagone disposent d’un bon accès aux services de base, censés mieux les protéger des risques climatiques.
Seuls 6 États du monde possèdent un indice des risques climatiques pour les enfants considéré comme « faible ». Il s’agit de l’Islande, du Luxembourg, de la Nouvelle-Zélande, de la Finlande, de l’Estonie et de la Suède. Ainsi, non seulement la majorité des enfants du monde est exposée à plusieurs aléas simultanés, mais cette vulnérabilité s'en trouve décuplée dans les pays émergents en raison de l’insuffisance des infrastructures dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, de la santé et de la formation scolaire.
Les impacts relatifs aux changements climatiques sont profondément inéquitables selon les régions du monde. Statistiquement, l’étude de l’UNICEF met en exergue la disproportion entre les pays dans lesquels les émissions de gaz à effet de serre sont générées et ceux dans lesquels les enfants souffrent des impacts climatiques les plus forts [5].
Selon l'IRCE, les 33 pays à très haut risque ne génèrent que 9,38 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) et les dix pays à plus haut risque produisent seulement 0,55 % des émissions mondiales. Inversement, parmi les dix nations dont les émissions sont les plus élevées et qui génèrent ensemble près de 70 % des émissions mondiales, seule l’Inde est considérée par l’IRCE comme fortement impactée.
Haut du classement de l’IRCE et émissions de CO2 correspondantes | Principaux pays émetteurs de CO2 et indice IRCE correspondants | ||||
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État | % émissions mondiales de CO2 [Émissions de CO2/habitant (t)] |
Indice IRCE | État | % émissions mondiales de CO2 [Émissions de CO2/habitant (t)] |
Indice IRCE |
© Atlasocio.com | |||||
Centrafrique | 0,001 [0,07] |
8,7 | Chine | 30,30 [7,41] |
6,7 |
Tchad | 0,003 [0,07] |
8,5 | États-Unis | 14,63 [15,24] |
5,0 |
Nigeria | 0,384 [0,67] |
8,5 | Inde | 7,15 [1,80] |
7,4 |
Guinée | 0,009 [0,25] |
8,4 | Russie | 4,72 [11,13] |
4,6 |
Guinée-Bissau | 0,001 [0,17] |
8,4 | Japon | 3,25 [8,74] |
4,5 |
Somalie | 0,002 [0,05] |
8,4 | Allemagne | 2,08 [8,56] |
2,6 |
Niger | 0,007 [0,10] |
8,2 | Corée du Sud | 1,85 [12,22] |
5,2 |
Soudan du Sud | 0,004 [0,13] |
8,2 | Iran | 1,85 [7,69] |
5,3 |
Congo (RDC) | 0,006 [0,03] |
8,0 | Indonésie | 1,71 [2,18] |
6,5 |
Angola | 0,080 [0,89] |
7,9 | Canada | 1,69 [15,50] |
3,7 |
Cameroun | 0,025 [0,34] |
7,9 | Arabie saoudite | 1,51 [15,27] |
4,7 |
Madagascar | 0,010 [0,13] |
7,9 | Mexique | 1,39 [3,74] |
5,9 |
Mozambique | 0,020 [0,23] |
7,9 | Afrique du Sud | 1,27 [7,50] |
5,2 |
En termes de mortalité infantile, l’UNICEF rappelle qu’environ 26 % des décès d’enfants de moins de cinq ans sont dus à des facteurs environnementaux modifiables. Les principales causes de décès des enfants dans le monde sont liées à la pollution atmosphérique et aux toxines environnementales.
Une situation d’autant plus préoccupante lorsque l’on sait que la plupart des pays à très haut risque (28 sur 33) disposent d’un très faible nombre de stations de mesure de la qualité de l’air au niveau du sol, et que moins de 10 % de la population infantile vit dans un rayon de 50 km autour d’une station de mesure [6]. En effet, le suivi en temps réel de la pollution des sols permettrait à la fois de mieux appréhender les fluctuations quotidiennes de la qualité de l’air, mais également d’identifier les sources de pollution afin d’élaborer une politique de santé publique visant à protéger/informer les personnes les plus vulnérables.
Enfants (%) vivant dans un rayon de 50 km autour des stations de suivi de la pollution atmosphérique. © Atlasocio.com
Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en août 2021 [7], d'ici 2050, les coûts d’adaptation pourraient atteindre 1 000 milliards de dollars É.-U (US$) par an dans certaines projections d'émissions. Un budget qui est loin d'être atteint, l'UNICEF indiquant que les pays à très haut risque bénéficient en 2021 d’à peine 9 milliards de dollars sur l’ensemble des flux financiers mondiaux, principalement sous forme d’aide publique au développement dans le domaine de la recherche, du développement et de la production d’énergie propre.
Au cours des 130 dernières années, la température a augmenté entre 0,85 °C et 1,1 °C dans le monde. Et le rythme s’est accéléré ces 25 dernières années avec plus de 0,18 °C de réchauffement par décennie, tandis que les événements météorologiques extrêmes augmentent en intensité et en fréquence [8]. Ainsi, le nombre des catastrophes naturelles liées à la météorologie a plus que triplé depuis les années 1960, provoquant chaque année plus de 60 000 décès, principalement dans les pays en développement.
Le caractère de plus en plus aléatoire des précipitations aura probablement des effets sur l’approvisionnement en eau douce. En effet, le manque d’eau salubre peut compromettre l’hygiène, augmentant parallèlement le risque de maladies diarrhéiques qui tuent près de 500 000 enfants âgés de moins de 5 ans par an, prévient l'Organisation mondiale de la santé (OMS) [9]. Une diminution de la production vivrière dans de nombreuses régions, notamment dans certains pays africains, risque d'entraîner une prévalence accrue de la malnutrition et de la dénutrition actuellement à l’origine de 3,1 millions de décès par an.
Carte du monde relative à la prévalence de la malnutrition par État © Atlasocio.com
Or, l’UNICEF souligne que, comparativement aux adultes, les enfants ont besoin de davantage de nourriture et d’eau par unité de poids corporel. En outre, les plus jeunes ont moins de chance de survivre à des événements climatiques extrêmes que les adultes car plus sensibles aux produits chimiques toxiques et moins résilients face aux brusques écarts de température et aux maladies. Des inquiétudes partagées par l'OMS dont les estimations sont peu optimistes : le changement climatique est susceptible non seulement d'allonger la saison de transmission de certaines maladies à transmission vectorielle, mais également de modifier leur répartition géographique.
Cela est le cas du paludisme – 400 000 morts par an, pour la plupart des enfants africains de moins de 5 ans –, et de la dengue qui pourrait menacer plus de 2 milliards de personnes supplémentaires d’ici les années 2080. Aussi, aux problématiques structurelles déjà existantes (accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, aux infrastructures de santé, à la formation scolaire...) s’ajoutent désormais la question du réchauffement climatique, et donc de la nécessaire régulation/diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Carte du monde relative aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) par État © Atlasocio.com
D'après les recommandations du GIECE, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent être diminuées de moitié d’ici à 2030 pour éviter les pires répercussions sur la planète, dont la hausse des températures [10]. Cependant, la plupart des États ne semblent pas en bonne voie pour atteindre cet objectif, le climat ayant déjà évolué de manière significative.
La hausse des températures moyennes de 1,1 °C observée depuis le milieu du XIXe siècle risque bien d’engendrer des effets environnementaux dévastateurs sur le long terme et ce, même en cas d’un ralentissement des émissions de CO2 ou de méthane. Raison pour laquelle les membres de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) parties à l’accord de Paris sur le climat (adopté le 12 décembre 2015) se sont engagés à maintenir l'augmentation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, si possible à 1,5 °C. Or, selon l’Organisation météorologique mondiale, la probabilité que ce seuil de 1,5 °C sur une année soit dépassé dès 2025 est de 40 %.
D'après les observations satellites de la NASA, en comparant les données de la période 2000-2010 à la moyenne de 1979 à 2000, la banquise arctique diminue désormais de 11,5 % par décennie [11] © NASA/Goddard
En outre, le GIEC, dans ses projections, estime désormais que même en limitant la hausse à 2 °C, près de 80 millions de personnes supplémentaires souffriront de la faim d’ici à 2050 et 130 millions pourraient sombrer dans une extrême pauvreté à l’horizon 2030. Les villes côtières, peuplées de centaines de millions d’habitants, sont susceptibles d’être menacées dès 2050 par des vagues-submersion plus fréquentes, provoquées en partie par la hausse du niveau de la mer. Les pénuries d’eau pourraient toucher 350 millions de personnes supplémentaires dans le cas d’une augmentation de 1,5 °C et plus de 400 millions au-delà de 2 °C.
Si aucune mesure d’urgence n’est prise pour faire face à ces problèmes systémiques, les enfants seront ceux qui souffriront le plus fortement des conséquences du changement climatique et des nuisances environnementales. Aussi, il convient d’oeuvrer à la transformation des processus et des comportements et ce, à tous les niveaux : individuel, collectif, industriel, institutionnellement et politiquement. Une redéfinition globale du mode de vie et de consommation des individus parait plus que salvatrice au regard des enjeux environnementaux auxquels est confrontée l’humanité.